Face à la montée des tensions sociales, les gouvernements durcissent leur arsenal législatif au nom de la sécurité. Mais à quel prix pour nos libertés fondamentales ? Enquête sur un équilibre fragile entre ordre public et droit de manifester.
L’évolution du cadre juridique encadrant la liberté de réunion
La liberté de réunion est un droit fondamental garanti par la Constitution et les traités internationaux. Historiquement, elle découle du décret du 23 octobre 1935 qui pose le principe de la liberté de manifestation, sous réserve d’une déclaration préalable. Ce texte fondateur a ensuite été complété par diverses lois visant à encadrer l’exercice de ce droit.
Parmi les évolutions récentes, on peut citer la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations. Ce texte controversé a notamment introduit la possibilité pour les préfets d’interdire à certaines personnes de participer à des manifestations. Il a aussi créé un délit de dissimulation volontaire du visage lors de rassemblements.
Plus récemment, la loi Sécurité globale de 2021 a suscité de vives inquiétudes quant à ses implications sur la liberté de manifester. Son article 24, finalement censuré par le Conseil constitutionnel, prévoyait initialement de pénaliser la diffusion malveillante d’images de forces de l’ordre en opération.
Les restrictions croissantes à l’exercice du droit de manifester
Au fil des années, on observe un durcissement progressif du cadre légal entourant les manifestations. Les autorités disposent désormais d’un large éventail d’outils pour restreindre ce droit : interdictions préventives, encadrement strict des cortèges, dispersion forcée, interpellations préventives, etc.
L’usage de certaines techniques de maintien de l’ordre fait débat, comme l’utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD) ou la pratique de la nasse (encerclement des manifestants). Des ONG comme Amnesty International ont dénoncé des atteintes disproportionnées à la liberté de réunion et des violences policières.
La multiplication des arrêtés préfectoraux interdisant les manifestations dans certains périmètres, comme les Champs-Élysées à Paris, pose également question. Ces interdictions systématiques ne risquent-elles pas de vider de sa substance le droit de manifester ?
L’impact des nouvelles technologies sur l’encadrement des manifestations
Les évolutions technologiques offrent de nouveaux outils aux forces de l’ordre pour surveiller et encadrer les rassemblements. L’usage de drones pour filmer les manifestations s’est par exemple généralisé ces dernières années. La loi Sécurité globale a d’ailleurs légalisé cette pratique, tout en l’encadrant.
Le recours à la reconnaissance faciale lors des manifestations fait débat. Si elle n’est pas encore autorisée en France, certains craignent son utilisation future pour identifier les participants à des rassemblements. Les fichiers de police comme le PASP (prévention des atteintes à la sécurité publique) permettent déjà de recenser les militants actifs.
L’essor des réseaux sociaux a par ailleurs modifié l’organisation des manifestations. Les autorités surveillent désormais de près ces canaux pour anticiper les rassemblements. Certains s’inquiètent d’une forme de surveillance de masse des mouvements sociaux.
Le rôle de la jurisprudence dans la protection de la liberté de réunion
Face au durcissement législatif, la jurisprudence joue un rôle crucial pour préserver l’équilibre entre ordre public et libertés. Le Conseil d’État a ainsi rappelé à plusieurs reprises que la liberté de manifester est une liberté fondamentale dont la sauvegarde constitue une liberté fondamentale.
Dans une décision marquante du 13 juin 2020, le Conseil d’État a par exemple suspendu l’interdiction générale des manifestations édictée par le gouvernement pendant la crise sanitaire. Il a jugé que cette interdiction n’était pas justifiée par la situation sanitaire dès lors que les gestes barrières pouvaient être respectés.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) veille également au respect de la liberté de réunion garantie par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a développé une jurisprudence protectrice, considérant que seules des « raisons convaincantes et impératives » peuvent justifier des restrictions à cette liberté.
Les enjeux futurs : vers un nouvel équilibre entre sécurité et liberté ?
Le débat sur l’encadrement du droit de manifester reste vif. D’un côté, les autorités invoquent la nécessité de prévenir les débordements et de protéger l’ordre public. De l’autre, de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une dérive sécuritaire menaçant les libertés fondamentales.
La question de la responsabilité des organisateurs de manifestations fait notamment débat. Certains proposent de les rendre pénalement responsables des débordements, une idée critiquée comme risquant de décourager l’exercice du droit de manifester.
L’encadrement des manifestations spontanées, facilitées par les réseaux sociaux, pose également question. Comment concilier la nécessité d’un cadre légal avec la spontanéité de certains mouvements sociaux ?
Enfin, l’impact des nouvelles technologies sur l’exercice de la liberté de réunion continuera d’alimenter les débats. Comment encadrer l’usage des outils numériques de surveillance sans porter atteinte aux libertés fondamentales ?
La liberté de réunion, pilier de notre démocratie, se trouve aujourd’hui fragilisée par la multiplication des lois sécuritaires. Si la protection de l’ordre public est légitime, elle ne doit pas se faire au détriment des droits fondamentaux. Un nouvel équilibre reste à trouver pour préserver l’essence de ce droit essentiel à l’expression démocratique.