L’attestation sur l’honneur du créancier : une preuve fragile en droit

L’attestation sur l’honneur du créancier, bien que couramment utilisée dans les litiges financiers, soulève de nombreuses questions quant à sa valeur probante. Souvent considérée comme insuffisante par les tribunaux, cette déclaration unilatérale peine à convaincre face à d’autres moyens de preuve plus solides. Pourtant, dans certaines situations, elle peut constituer un élément à prendre en compte. Examinons en détail les limites et les conditions d’acceptation de ce document, ainsi que les alternatives plus fiables pour établir la réalité d’une créance.

La nature juridique de l’attestation sur l’honneur

L’attestation sur l’honneur du créancier est une déclaration écrite par laquelle une personne affirme, sous sa responsabilité, l’existence d’une créance à son profit. Ce document unilatéral n’est soumis à aucun formalisme particulier, si ce n’est qu’il doit être daté et signé par son auteur. Il s’agit d’un mode de preuve libre, qui peut être produit en justice pour tenter d’établir la réalité d’une dette.

Cependant, sa valeur probante est intrinsèquement limitée. En effet, l’attestation émane du créancier lui-même, partie intéressée au litige. Elle ne constitue donc pas une preuve objective et indépendante de la créance alléguée. Les juges sont ainsi amenés à examiner ce type de document avec une grande circonspection.

De plus, l’attestation sur l’honneur ne bénéficie d’aucune présomption légale de véracité. Contrairement à certains actes authentiques comme les actes notariés, elle ne fait pas foi jusqu’à inscription de faux. Le débiteur peut donc librement la contester, sans avoir à recourir à une procédure spécifique.

Il convient de distinguer l’attestation sur l’honneur du créancier d’autres types de déclarations qui peuvent avoir une force probante supérieure :

  • L’attestation testimoniale d’un tiers, régie par les articles 200 à 203 du Code de procédure civile
  • L’aveu judiciaire du débiteur, qui a valeur de preuve parfaite
  • Le serment décisoire, prévu aux articles 1385-1 et suivants du Code civil

Ces éléments de preuve, émanant d’autres personnes que le créancier ou revêtant un caractère solennel, sont généralement considérés comme plus probants par les tribunaux.

Les limites de la force probante de l’attestation

La jurisprudence a eu de nombreuses occasions de se prononcer sur la valeur probante de l’attestation sur l’honneur du créancier. Il en ressort une position constante : ce document ne constitue pas, à lui seul, une preuve suffisante de l’existence de la créance.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 19 juin 2013 que « l’attestation sur l’honneur émanant du créancier lui-même ne peut constituer une preuve de sa créance ». Cette solution a été réaffirmée à de multiples reprises, notamment dans un arrêt du 4 mai 2017.

Les juges du fond adoptent la même approche. Par exemple, la Cour d’appel de Paris a jugé le 5 septembre 2019 que « l’attestation sur l’honneur du créancier ne saurait à elle seule suffire à rapporter la preuve de l’existence de la créance alléguée ».

Cette position s’explique par plusieurs raisons :

  • Le caractère unilatéral de la déclaration, qui émane de la partie ayant intérêt à voir la créance reconnue
  • L’absence de garanties quant à la sincérité des affirmations contenues dans l’attestation
  • Le risque de détournement de ce mode de preuve à des fins frauduleuses

Les tribunaux considèrent donc que l’attestation sur l’honneur du créancier doit être corroborée par d’autres éléments probatoires pour emporter leur conviction. À défaut, elle sera écartée des débats ou, du moins, ne se verra accorder qu’une valeur probante très limitée.

Le rejet systématique de l’attestation comme preuve unique

Dans de nombreuses décisions, les juridictions ont explicitement rejeté les demandes fondées uniquement sur une attestation sur l’honneur du créancier. Par exemple, la Cour d’appel de Versailles a jugé le 12 janvier 2018 que « la seule production d’une attestation sur l’honneur émanant du créancier lui-même ne saurait suffire à établir l’existence et le montant de sa créance ».

De même, le Tribunal de grande instance de Nanterre a estimé dans un jugement du 7 mars 2016 que « l’attestation sur l’honneur du créancier, document unilatéral par nature, ne peut à elle seule constituer un élément probant de nature à justifier sa créance ».

Cette position jurisprudentielle constante incite les créanciers à ne pas se contenter de ce seul mode de preuve, au risque de voir leur demande rejetée.

Les conditions d’acceptation de l’attestation comme élément de preuve

Bien que l’attestation sur l’honneur du créancier ne puisse suffire à elle seule, elle n’est pas pour autant dénuée de toute valeur probante. Dans certaines circonstances, les tribunaux peuvent lui accorder un certain crédit, à condition qu’elle soit étayée par d’autres éléments.

Plusieurs facteurs sont pris en compte par les juges pour apprécier la force probante de l’attestation :

  • La précision et la cohérence des informations fournies
  • La concordance avec d’autres pièces du dossier
  • L’absence de contestation sérieuse de la part du débiteur
  • Le comportement des parties et leur bonne foi apparente

Ainsi, une attestation détaillée, corroborée par des éléments matériels et non contredite de manière convaincante par le débiteur, pourra être retenue comme un indice de l’existence de la créance.

La Cour de cassation a d’ailleurs admis dans un arrêt du 11 janvier 2017 que « l’attestation sur l’honneur du créancier peut être prise en considération par les juges du fond, dès lors qu’elle est confortée par d’autres éléments de preuve ».

L’importance des éléments complémentaires

Pour renforcer la valeur probante de l’attestation, le créancier a tout intérêt à l’accompagner d’autres pièces justificatives. Parmi les éléments susceptibles de conforter ses déclarations, on peut citer :

  • Des échanges de correspondance avec le débiteur
  • Des relevés bancaires attestant de mouvements financiers
  • Des factures ou devis en lien avec la créance alléguée
  • Des témoignages de tiers ayant eu connaissance de la transaction

Plus ces éléments seront nombreux et concordants, plus l’attestation sur l’honneur gagnera en crédibilité aux yeux des magistrats.

Les alternatives plus fiables à l’attestation sur l’honneur

Face aux limites de l’attestation sur l’honneur, les créanciers disposent d’autres moyens de preuve plus solides pour établir l’existence de leur créance. Ces alternatives présentent généralement une force probante supérieure et sont donc à privilégier dans la mesure du possible.

Parmi les modes de preuve les plus efficaces, on peut notamment citer :

L’acte sous seing privé

Un contrat écrit, signé par les deux parties, constitue une preuve beaucoup plus convaincante qu’une simple attestation unilatérale. L’acte sous seing privé fait foi de son contenu entre les signataires, sauf à en contester l’authenticité par la procédure de vérification d’écriture.

Il est donc vivement recommandé de formaliser par écrit tout engagement financier, même entre proches. Un simple document daté et signé, mentionnant le montant et les modalités de remboursement, peut suffire à prouver l’existence de la dette.

La reconnaissance de dette

La reconnaissance de dette est un acte par lequel le débiteur reconnaît expressément devoir une somme d’argent au créancier. Ce document, s’il est rédigé de la main du débiteur ou au moins signé par lui, a une force probante très importante.

En effet, la reconnaissance de dette constitue un aveu extrajudiciaire de la part du débiteur. Elle renverse la charge de la preuve : c’est alors au débiteur de prouver qu’il s’est acquitté de sa dette ou que celle-ci n’existe pas.

Le titre exécutoire

Certains actes, comme les jugements ou les actes notariés, ont la qualité de titre exécutoire. Ils permettent au créancier de procéder directement à l’exécution forcée, sans avoir à obtenir une décision de justice préalable.

Bien que plus contraignants à obtenir, ces titres offrent une sécurité juridique maximale au créancier. Ils sont particulièrement adaptés pour les créances importantes ou lorsque le risque de contestation est élevé.

Les preuves électroniques

Avec le développement du numérique, de nouveaux modes de preuve ont fait leur apparition. Les échanges de courriels, les SMS ou encore les conversations sur les réseaux sociaux peuvent, sous certaines conditions, être admis comme éléments probatoires.

La Cour de cassation a ainsi reconnu dans un arrêt du 30 septembre 2016 que « les courriels peuvent constituer des écrits électroniques susceptibles d’être admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier ».

Ces preuves électroniques, si elles sont correctement conservées et horodatées, peuvent s’avérer plus convaincantes qu’une simple attestation sur l’honneur.

Stratégies pour renforcer la valeur probante de l’attestation

Bien que l’attestation sur l’honneur du créancier présente des limites intrinsèques, il existe des moyens de renforcer sa crédibilité et son poids probatoire. Voici quelques stratégies que les créanciers peuvent mettre en œuvre pour maximiser les chances de voir leur attestation prise en compte par les tribunaux.

Rédaction minutieuse et détaillée

La forme et le contenu de l’attestation jouent un rôle crucial dans son appréciation par les juges. Il convient donc d’apporter un soin particulier à sa rédaction :

  • Être précis sur les dates, montants et circonstances de la créance
  • Expliquer de manière claire et chronologique l’origine de la dette
  • Mentionner tous les échanges et démarches entrepris pour obtenir le remboursement
  • Éviter les approximations ou les affirmations non étayées

Plus l’attestation sera détaillée et cohérente, plus elle aura de chances d’être considérée comme crédible par le tribunal.

Constitution d’un faisceau d’indices

Comme nous l’avons vu, l’attestation gagne en force probante lorsqu’elle est corroborée par d’autres éléments. Il est donc recommandé de rassembler un maximum de pièces justificatives pour étayer ses déclarations :

  • Relevés bancaires montrant les mouvements de fonds
  • Factures ou devis en lien avec la transaction
  • Échanges de correspondance avec le débiteur
  • Témoignages de tiers ayant eu connaissance de la dette

La multiplication des indices concordants renforcera la crédibilité de l’attestation aux yeux des magistrats.

Recours à un tiers de confiance

Pour donner plus de poids à l’attestation, il peut être judicieux de la faire établir ou certifier par un tiers de confiance. Plusieurs options sont envisageables :

  • Faire rédiger l’attestation par un avocat, qui engagera sa responsabilité professionnelle
  • Demander à un notaire de dresser un acte de notoriété reprenant le contenu de l’attestation
  • Solliciter une attestation complémentaire d’un expert-comptable ou d’un commissaire aux comptes

L’intervention d’un professionnel du droit ou du chiffre apportera une caution morale à l’attestation et renforcera sa valeur probante.

Anticipation des contestations

Pour prévenir les éventuelles objections du débiteur, il est recommandé d’anticiper les points de contestation possibles et d’y répondre dans l’attestation :

  • Expliquer l’absence de document écrit, le cas échéant
  • Justifier les délais écoulés depuis la naissance de la créance
  • Détailler les démarches amiables entreprises avant la procédure judiciaire

En abordant de front les faiblesses potentielles de sa position, le créancier démontre sa bonne foi et renforce la crédibilité de ses affirmations.

L’avenir incertain de l’attestation sur l’honneur

Face aux limites évidentes de l’attestation sur l’honneur du créancier, on peut s’interroger sur l’avenir de ce mode de preuve dans notre système juridique. Plusieurs évolutions sont envisageables à moyen terme.

D’une part, on pourrait assister à un encadrement légal plus strict de l’attestation sur l’honneur. Le législateur pourrait par exemple imposer un formalisme particulier ou prévoir des sanctions pénales en cas de fausse déclaration, à l’instar de ce qui existe pour certaines attestations administratives.

D’autre part, le développement des technologies numériques pourrait offrir de nouvelles possibilités pour sécuriser et authentifier les déclarations des créanciers. La blockchain ou les signatures électroniques qualifiées pourraient ainsi conférer une force probante accrue aux attestations dématérialisées.

Enfin, on peut imaginer l’émergence de nouveaux modes de preuve plus adaptés à l’ère numérique, qui viendraient progressivement supplanter l’attestation sur l’honneur traditionnelle.

Quoi qu’il en soit, il est probable que l’attestation sur l’honneur du créancier continuera à jouer un rôle, certes limité mais non négligeable, dans l’arsenal probatoire à disposition des justiciables. Sa souplesse et sa facilité d’utilisation en font un outil complémentaire qui, associé à d’autres éléments de preuve, peut contribuer à établir la réalité d’une créance.

Les praticiens du droit devront donc rester attentifs aux évolutions jurisprudentielles et législatives en la matière, afin d’adapter leurs stratégies probatoires aux exigences des tribunaux. Dans l’intervalle, la prudence reste de mise : mieux vaut prévenir que guérir en privilégiant, autant que possible, des modes de preuve plus solides que la simple attestation sur l’honneur.